Certains morceaux s’impriment dans le corps autant que dans la mémoire. Avec FUSE (Jungle Flip), Giorgio Fazio plonge dans cette sensation brute, presque physique, que procurait la musique électronique du début des années 2010. Il ne s’agit pas d’un remix au sens classique, mais d’un geste intime, une relecture instrumentale qui réinterprète l’iconique FUSE de Hudson Mohawke, extrait du cultissime Butter (2009) sorti chez Warp. Ici, la jungle devient le filtre à travers lequel Fazio canalise une époque façonnée par les rythmes brisés et la tension émotionnelle.
Dès les premières secondes, le morceau met en place un espace instable, presque granuleux. Les textures se superposent : nappes filtrées, voix pitchées et breaks “Amen” qui surgissent pour se désagréger l’instant d’après. Tout semble sur le fil. Pourtant, au cœur de ce désordre organisé, une basse profonde vient ancrer le tout. L’ensemble respire, se contracte, avance sans jamais céder à la facilité du drop. C’est une matière sonore conçue pour les lieux où la musique s’écoute avec le ventre — petites salles au plafond bas, open airs traversés par le vent, ou systèmes sonores qui valorisent la tension plus que l’impact immédiat.
Fazio, qui a produit durant l’âge d’or de SoundCloud, explique à quel point FUSE fut une secousse collective. À une époque où les repères s’effondraient, ce morceau redessinait la façon de penser la distorsion, la structure, l’émotion. « Ce n’était pas juste une influence. C’était le point de départ », dit-il. En revenant sur cette pièce fondatrice, il réactive une mémoire sonore, un moment où le beatmaking se faisait à l’instinct, dans l’urgence, avec une liberté formelle qui détonnait.
Mais FUSE (Jungle Flip) n’est ni un exercice nostalgique ni un clin d’œil rétro. C’est un prolongement vivant, nourri par une longue familiarité avec la scène UK et des figures comme ASC, où le silence, l’espace et la retenue prennent le pas sur le spectaculaire. Giorgio Fazio transforme ici une réminiscence en création organique, façonnée dans la tension et le mouvement. Un morceau qui vibre encore du souvenir d’une époque où l’expérimentation avait le dernier mot.

