Pour leur nouvel EP People Just Float, Steel & Velvet franchit un cap audacieux, mêlant musique et image dans un mariage subtilement poétique. Entre folk et blues-rock nord-américain, ce trio breton dévoile un univers où chaque note et chaque plan participent à la narration. Portée par l’acoustique intimiste de Johann, la guitare précise de Romuald et la finesse d’arrangements de Jean-Alain, leur musique se déploie comme une œuvre cinématographique, révélant des histoires de solitude, d’amour et de lien humain. Avec la participation de Jade, fille de Johann, et la complicité visuelle de Loïc Moyou, People Just Float ne se contente pas de sonner : il se voit, se ressent et se vit. Dans cette interview en dix questions, Steel & Velvet revient sur la genèse de ce projet, l’influence de leurs artistes de prédilection, leur rapport à l’intimité musicale et la force d’un univers où chaque détail compte.
1. People Just Float combine un EP et un court-métrage. Comment vous est venue l’idée de raconter une histoire à la fois avec la musique et l’image ?
Johann : Lorsque nous avons terminé l’enregistrement de notre 1er EP (Waiting for some warmth), nous étions décidés à composer nos propres titres en vue d’un nouvel album. Mais nous n’avons pas pu avancer sur le projet comme nous le souhaitions. J’ai donc proposé un autre concept : un EP que j’imaginais comme la BO d’une sorte de « western lynchien »…
J’ai choisi, avec soin, 6 titres déjà existants qui, mis bout à bout, racontaient une histoire. Dans le mail que j’ai envoyé à Romuald et Jean-Alain, pour leur faire part de mon idée, j’ai écrit : « le top, ce serait de tourner réellement ce court-métrage… C’est évidemment très ambitieux, mais partons avec ce rêve en tête. »
Nous étions en décembre 2024, un peu plus d’un mois avant le décès de David Lynch…
2. L’histoire de Joshua et de cette femme dans la forêt est très poétique. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous, et pourquoi avez-vous eu envie de la raconter ?
Johann : Au départ, j’avais quelques thèmes en tête : l’amour, la mort, l’enfer, le paradis… Ensuite mon idée s’est précisée : je voulais que cette histoire décrive les ravages de la solitude, notamment sur la santé mentale. Je pense que notre œuvre peut être interprétée de différentes manières selon les croyances et les sensibilités. C’est pourquoi je ne souhaite pas l’expliciter davantage.
Jean-Alain : Nous connaissions les grandes lignes du scénario au moment de l’enregistrement, mais l’interprétation visuelle appartient entièrement à Loïc (Moyou). Je suis convaincu que nous trois n’avons pas la même manière d’appréhender l’histoire de Joshua dans ce court-métrage, et c’est justement ce qui fait son mystère et sa richesse.
Romuald : Absolument, l’histoire imaginée par Johann et scénarisée par Loïc traite d’un sujet essentiel de notre temps tout en faisant appel à l’imaginaire de chacun. J’aime cet univers poétique si singulier, reflet de la signature unique de Steel and Velvet
3. Vous reprenez des artistes aussi variés que Johnny Cash, Bob Dylan ou Nirvana. Qu’est-ce qui vous attire dans ces chansons au point de vouloir les réinterpréter à votre manière ?
Johann : Ces artistes ont, je crois, un point commun : l’authenticité. David Bowie, disait « qu’il est terriblement dangereux pour un artiste de vouloir répondre aux attentes des autres ». Je partage cette opinion et admire ceux qui continuent à exprimer sincèrement ce qu’ils sont profondément.
Jean-Alain : Il faut une bonne dose d’audace, car les trois artistes que vous citez ont chacun une personnalité artistique très marquée et ont écrit parmi les plus belles chansons du XXᵉ siècle. C’est le plus souvent Johann qui propose les morceaux à reprendre. Je pense que ses choix reposent sur un vrai désir d’interprétation, selon l’atmosphère du titre ou la thématique qui le touchent particulièrement. De notre côté, avec Romuald, nous faisons de notre mieux pour l’accompagner et enrichir cette nouvelle lecture musicale.
Romuald : J’aime le parti pris de Johann de revisiter, avec notre signature sonore acoustique, des chansons provenant de ces artistes majeurs. Il s’agit à chaque fois de réarranger des titres parfois très célèbres, parfois plus confidentiels et d’y apporter un autre éclairage par nos identités artistiques complémentaires.
4. Vos versions restent très épurées, très « authentiques », un peu à la manière des American Recordings de Johnny Cash. Pourquoi aimez-vous ce son minimaliste et intime ?
Johann : Les American Recordings de Johnny Cash sont une grande source d’inspiration pour nous. Cet aspect minimaliste et intime m’émeut et c’est aussi un test impitoyable pour les chansons : elles ne peuvent pas toutes supporter un tel dépouillement. Dans les années 90, j’écoutais beaucoup de rock électrifié mais j’étais déjà séduit par les versions acoustiques. Les MTV Unplugged de Nirvana ou Alice in Chains, par exemple, m’ont marqué.
Jean-Alain : En acoustique, on ne peut pas tricher : impossible de se cacher derrière la « fée électrique ». Le rapport à l’instrument devient plus direct, plus organique, presque physique. Cela dit, même dans un cadre minimaliste, il reste tout à fait possible de concevoir des arrangements subtils et travaillés. C’est d’ailleurs ce qui rend l’exercice passionnant.
Romuald : Tout comme Johann, j’ai toujours aimé l’esprit unplugged, étant principalement un musicien acoustique, jouant de multiples instruments, mais résolument guitariste dans l’âme. Je considère que ce type d’exercice nous amène à retirer la quintessence même du message présent dans les versions originales et nous permet d’apporter une touche intimiste, grâce à un son direct et épuré. Nous cherchons à livrer par la musique et l’image, l’essentiel, l’irréductible.
5. Jade, la fille de Johann, chante sur deux titres. Comment s’est passée cette collaboration familiale ? Ça a changé l’ambiance en studio ?
Johann : en général, nous enregistrons le noyau des chansons en conditions live, Romuald et moi (parfois Jean-Alain, Romuald et moi) puis nous enregistrons ensuite des pistes supplémentaires, si elles sont prévues. Pour Silver, par exemple, c’est ainsi que cela s’est passé. Jean-Alain a ensuite ajouté les parties de guitare slide, puis le solo. Enfin, Jade a enregistré ses parties vocales. Elle est à un âge (13 ans) ou son père est « gênant ». Alors Gwenole (Courtas), l’ingénieur du son, a eu la bonne idée de me virer gentiment du studio. Idem pour In Heaven, également enregistré en conditions live.
Jean-Alain : Nous sommes tous les trois des pères de famille, donc la présence de Jade n’a pas vraiment bouleversé l’ambiance en studio. Pour nous, le studio reste avant tout un lieu de retrouvailles et de partage. L’énergie y est toujours très positive, car nous prenons un vrai plaisir à nous retrouver pour enregistrer de la nouvelle musique.
Romuald : Effectivement, après ce petit ajustement, Jade s’est parfaitement adaptée à l’exercice si particulier du studio. Elle a déjà beaucoup de talent et une certaine maturité musicale pour son âge. Je trouve le résultat absolument magnifique : sa présence vocale apporte un véritable plus à People Just Float.
6. Vous jouez souvent dans des lieux où Johann n’est pas amplifié. Qu’est-ce que cela apporte selon vous au lien avec le public ?
Johann : J’ai une formation de chanteur lyrique. Pour moi, chanter sans micro est donc la norme. Nous amplifions les deux guitares acoustiques pour leur donner un peu plus d’ampleur et de volume, et trouver ainsi un bel équilibre. Le retour du public est enthousiaste. Entendre et sentir une voix résonner naturellement, sans amplification, est une expérience qui procure un réel plaisir sensoriel aux auditeurs et qui crée un lien plus étroit avec eux.
Romuald : Il est vrai que Johann apprécie ce lien direct avec le retour acoustique naturel de la salle ou des lieux où nous nous produisons. Cela renforce le lien intimiste que nous entretenons avec notre public de prédilection. Cependant Steel & Velvet peut selon moi s’adapter à divers lieux, à des salles plus ou moins vastes, notre répertoire se prêtant à divers formats.
7. Le visuel tient une place importante dans votre univers, surtout grâce à Loïc Moyou. Comment naissent vos idées ensemble pour transformer vos chansons en images ?
Johann : à la base, Loïc est photographe. Un photographe très talentueux ! Je suis allé le chercher pour tourner notre 1er clip (une reprise de Mark Lanegan « One Way Street »). Peu de temps auparavant, il avait exposé une collection de tirages intitulée « Alone ». J’avais adoré. Je lui ai demandé de transposer cette univers dans notre clip. Ses premiers pas dans la vidéo se sont révélés très réussis… Il aime l’univers de Steel & Velvet et nous aimons le sien. Le processus de création est donc aisé, pour ne pas dire évident : nous sommes vraiment sur la même longueur d’ondes.
Jean-Alain : La connexion avec Loïc s’est faite très naturellement. Je connaissais déjà son travail, mais ma première vraie rencontre a eu lieu à Brest, lors de notre première séance photo à trois. J’ai tout de suite apprécié sa manière de diriger, à la fois détendue et précise, encore plus lorsque j’ai constaté la qualité remarquable de ses clichés. Loïc partage notre manière de fonctionner : tout repose sur l’amitié, la confiance et le plaisir sincère de créer ensemble.
Romuald : Absolument d’accord avec Jean-Alain. Selon moi Loïc est un véritable artiste, un orfèvre très créatif qui possède un sens aigu du rapport à la lumière. J’adore travailler avec lui et la relation étroite qu’il entretient avec Johann et Steel & Velvet est aussi émouvante que prolifique.
8. Votre premier EP rendait hommage à Mark Lanegan. Qu’est-ce que cet artiste représente pour vous aujourd’hui encore ?
Johann : Mark Lanegan est l’un de mes artistes favoris. Il est lui aussi très authentique. Il n’a jamais cherché à plaire mais simplement à créer ou interpréter la musique qu’il aimait. Je trouve son parcours artistique admirable et particulièrement riche. La 1re fois que je l’ai entendu, c’était dans la 1re moitié des années 90. Jean-Alain m’avait fait découvrir la BO du film Singles dans laquelle figure « Nearly Lost You » des Screaming Trees. J’avais immédiatement été touché par la voix de Lanegan… Son influence est présente dans People Just Float : c’est dans un livre qui lui est consacré (écrit par Greg Prato) que j’ai lu pour la 1re fois le nom de Robbie Basho. Et la 1re version de Man in the Long Black Coat que j’ai écoutée est celle qu’il a enregistrée pour la BO de I’m not there de Todd Haynes…
Jean-Alain : Évoquer Mark Lanegan suscite toujours une certaine mélancolie. Sa voix, immédiatement reconnaissable, laisse une empreinte profonde. Son travail sur les derniers albums des Screaming Trees reste remarquable, tout comme ses deux premiers disques en solo, d’une intensité et d’une sobriété rares. C’était sans doute l’un des artistes les plus sollicités pour des collaborations : il a souvent été invité à prêter sa voix ou son univers à d’autres projets. Ce qui m’a toujours impressionné, c’est sa capacité à se mettre au service de la chanson, à la sublimer sans jamais la dominer, tout en y apportant une véritable valeur ajoutée.
Romuald : C’est surtout Johann qui m’a fait découvrir Mark Lanegan même si je connaissais quelque peu sa signature vocale à travers les Screaming Trees. J’ai été amené, à travers le travail de Steel & Velvet, à me plonger dans son univers musical, et ainsi à fondre mon approche de guitariste dans les sentiments très profonds qu’il véhicule.
9. Votre musique s’inspire beaucoup du folk et du blues-rock nord-américains. En tant que Bretons, sentez-vous un lien particulier entre vos racines et ces sons venus d’ailleurs ?
Johann : je n’avais jamais réfléchi à la question… En ce qui concerne la musique folk américaine, qui s’est nourrie d’influences européennes, et notamment des mélodies irlandaises et écossaises, il est effectivement possible d’établir un lien. Je n’ai pas l’habitude d’ écouter de la musique celtique, mais il peut m’arriver d’avoir des frissons lorsque j’en entends…
Jean-alain : La Bretagne est une terre profondément marquée par la musique. L’histoire de la musique bretonne, notamment celle du gwerz, présente d’ailleurs de nombreuses similitudes avec celle du blues américain. Pour moi, la musique est avant tout une histoire de fusion et de métissage — et la tradition bretonne en est un parfait exemple. Cela a forcément influencé notre apprentissage et notre culture musicale. Personnellement, je n’écoute de la musique bretonne que lorsque je quitte la Bretagne : ce territoire et sa musique représente pour moi un véritable ancrage.
Romuald : Effectivement nos origines communes et notre inclination pour le folk et le blues nord-américains forment un cocktail particulier mêlant le goût de l’ailleurs à un son traduisant des émotions épurées, et dans lequel subsiste quelque chose d’irréductiblement breton.
10. Avec People Just Float, avez-vous l’impression d’avoir franchi un cap dans votre parcours, ou est-ce juste une nouvelle étape parmi tant d’autres à venir ?
Johann : People Just Float se compose d’un EP et d’un court-métrage qu’il est difficile de dissocier. En cela, c’est une œuvre assez unique. Je suis fier de ce que nous avons accompli mais j’espère que ce n’est effectivement qu’une étape parmi d’autres.
Jean-Alain : Je partage entièrement l’avis de Johann. Nous sommes très fiers du chemin parcouru, mais je suis persuadé que le meilleur reste à venir. Sur cet EP, la voix de Johann et la guitare de Romuald atteignent un niveau d’émotion et de sincérité inédit. Au-delà de la maîtrise technique, il y a quelque chose de profondément habité dans leur interprétation, qui donne à People Just Float une intensité toute particulière.
Romuald : People Just Float est une grande et belle étape dans l’histoire de Steel & Velvet qui se caractérise par la naissance d’une œuvre en soi, entre musique et cinéma que je trouve très originale et aboutie et qui mérite de continuer à s’épanouir sur scène et à l’écran.
Avec People Just Float, Steel & Velvet confirme sa capacité à mêler intimité musicale et univers visuel, offrant une expérience où chaque chanson se raconte comme un petit film. Entre reprises réinventées et compositions originales, le trio breton explore les émotions avec justesse et authenticité, tout en affirmant une signature sonore singulière. Cet EP et son court-métrage témoignent d’un chemin artistique en constante évolution, où l’intime rencontre le poétique, et où chaque note semble flotter dans un espace hors du temps. Steel & Velvet nous invite ainsi à les suivre dans leur voyage, en musique comme à l’écran, avec la promesse que le meilleur reste à venir.
