Il aura fallu quinze années de silence pour que Mike Shouse ressorte de l’ombre avec un album aussi dense qu’introspectif : Jaded. Plus qu’un disque, c’est un manifeste, forgé dans le tumulte personnel d’un musicien en quête de sens.
À travers les douze compositions instrumentales qui jalonnent cet opus, Shouse tisse une fresque sonore à la fois technique et viscérale. La pièce maîtresse, « Jaded », dépasse les 70 changements de tonalité — un chiffre qui pourrait faire tourner la tête à n’importe quel conservatoire — mais ici, chaque modulation respire, chaque note semble parler. Le guitariste navigue entre les gammes majeures et mineures harmoniques avec une aisance presque féline, comme s’il tirait les ficelles d’un théâtre émotionnel sans parole.
L’album ne naît pas du confort. Shouse l’a façonné après une série d’épreuves : incendie, rupture amoureuse, pandémie. Plutôt que sombrer, il transforme la douleur en moteur créatif. Entouré de musiciens chevronnés — dont le batteur Charley Zeleny et le bassiste Jane Pulli — il convoque aussi des figures mythiques du shred, Michael Angelo Batio et Bumblefoot, pour des apparitions qui galvanisent l’ensemble.
Jaded, c’est le rock dans ce qu’il a de plus authentique : rugueux, nuancé, profondément humain. On y perçoit la sueur, les cicatrices, mais aussi une lumière tenace. Dans un monde saturé de productions formatées, cet album se pose en outsider noble et nécessaire.
Un projet à écouter comme on lirait un journal intime — les oreilles grandes ouvertes.