Dans Sleep of Reason, Mark Springer ne compose pas seulement de la musique : il creuse les failles du présent. L’album, dense et habité, s’impose comme une fresque sonore à la fois intime et politique, où l’on entend les échos d’un monde fracturé par les egos et les écrans. Inspiré par Goya, Springer convoque ses propres monstres – ceux de notre ère numérique – et les confronte à la rigueur du quatuor à cordes et à la fragilité d’un piano en clair-obscur.
Mais c’est l’arrivée de Neil Tennant, voix emblématique des Pet Shop Boys, qui donne à cette œuvre sa vibration singulière. Sur le quintette final, il incarne avec justesse la mélancolie acide des textes, entre lucidité cruelle et poésie tranchante. La collaboration étonne par sa justesse : la voix pop de Tennant se glisse dans l’écrin classique sans fausse note, comme si ce mariage improbable entre musique savante et art lyrique contemporain allait de soi.
Springer, fidèle à son goût du risque, construit une architecture musicale en trois mouvements interconnectés. Il y mêle l’urgence du présent, la beauté fragile de l’instant, et une tension dramatique qui ne lâche jamais l’auditeur. Sleep of Reason n’est pas un simple album, c’est une traversée – entre onirisme et lucidité – d’un monde qui vacille.
Un disque exigeant, presque théâtral, où chaque silence pèse autant que chaque note. Une œuvre rare, précieuse, à écouter comme on feuillette un recueil de vérités dérangeantes.