L’épidémie qui guette les magasins de vente d’instruments de musique à Pigalle

Pour beaucoup, Pigalle est le quartier libertin de Paris où se succèdent boutiques coquins, musées érotiques et autres établissements dédiés au sexe. Des visiteurs du monde entier déambulent sur l’allée principale du boulevard Clichy découvrant curieux les charmes du quartier rouge à la mode parisienne. Pour les habitants de la capitale et pour les autres français, ce coin très fréquenté est historiquement celui de la musique ou du moins de la vente d’instruments de tous genres. Depuis de nombreuses décennies, des grandes enseignes de distribution et des magasins indépendants ont cohabité avec succès, offrant aux amateurs de son un repère où ils pouvaient dénicher la dernière guitare abordable arrivée sur le marché, une carte son, un mini-jack…tout !!

A l’heure d’internet, nous nous sommes rendus dans le coin pour discuter avec les vendeurs, les gérants et les clients. A vrai dire, nous avons été surpris. Le but de notre démarche étant de nous renseigner au sujet de l’impact des ventes en ligne sur les magasins physiques, nous avons finalement débouché sur une problématique bien plus grande qui explique la mort certes lente mais certaine de 90% des établissements restants dans le quartier.

Même si la plupart des magasins de vente d’instruments de musique se trouvaient dans les rues avoisinantes, le boulevard Clichy qui en comptait quelques uns s’est totalement vidé au profit de Star’s Music qui fait partie du groupe TWEETER (il comptabilise un chiffre d’affaire de 17 750 500 € en 2016).

«Aujourd’hui, pratiquement tous les magasins qui sont autour de nous, même Home Studio leur appartient » – Explique le gérant d’un magasin voisin. Nous avons décidé de le nommer Paul car il préfère garder l’anonymat pour ne pas nuire à l’image de la boutique qu’il gère avec deux de ses amis depuis 30 ans déjà.

Il continue : « Cela ne leur permet même pas de s’assurer une pérennité dans le quartier, ils finiront par crever comme nous ».

En effet, avec l’explosion d’internet les habitudes de consommation des clients ont changé. Il n’est plus indispensable de se rendre dans un magasin physique pour commander tout ce dont on a besoin, il est même possible d’avoir accès à des prix plus abordables grâce à des enseignes étrangères.

« Les jeunes d’aujourd’hui ne ressentent plus les besoins de toucher les instruments ou de discuter avec les vendeurs qui sont avant tout des passionnés. Regardes, Tu es entré, tu m’a gentiment abordé et cela fait déjà 10 minutes que nous discutons et que je réponds à tes questions. Essaie de faire la même chose dans un des magasins du groupe de Star’s Music et tu verras que ça passera autrement. L’amour du son, c’est ça notre métier » – Explique-t-il.

(L’homme a du faire attendre un client qui « chaussait » – expression qu’ils emploient pour estimer la valeur d’un acheteur – 2000€ pour prendre le temps d’une discussion qui va durer environ un quart d’heure).

«  C’est certain qu’internet représente notre plus grande menace mais en plus, rien ne va dans notre sens. Avec les prix des contraventions qui augmentent dans la capitale, ceux qui doivent dépenser de grosses sommes ne préfèrent plus déplacer leurs vannes dans les petites rues du 9ème arrondissement par peur d’aller chercher leur caisse à la fourrière » – déclare Paul.

« Avant, nous arrivions également à créer des partenariats avec l’éducation nationale, des institutions qui nous recommandaient auprès de leurs élèves. Nous avions découvert par hasard que ces mêmes gens avaient décidé de faire la même chose avec des magasins allemands. Nous avions essayé à l’époque d’avoir des explications mais rien à faire. A vrai dire, j’ai le sentiment que nous allons tous disparaître du quartier et très bientôt. Avant, il y’avait environ 100 magasins sur quelques pâtés de maisons. Nous sommes sûrement la dernière génération ».

Ce constat cynique mais juste nous met face à une réalité, la fin de l’historique coin musique de Pigalle. Nous avons voulu avoir un autre son de cloche en nous rendant dans un des magasins du groupe TWEETER. Même si l’accueil est plus distant, le départ des derniers clients nous a permis de discuter quelques minutes avec un vendeur que nous allons appeler Bertand.

« Je suis là depuis plusieurs années déjà, je fais du son en dehors d’ici mais c’est vrai que le quartier a changé. Dans le groupe, je constate également qu’ils recrutent de plus en plus des vendeurs, des commerciaux mais moins de passionnés. Ils sont capables de te faire une démonstration parfaite, t’expliquer les derniers specs comme un vendeur de Darty vendrait un four à micro-onde mais je trouve dommage qu’il n’y ait plus dans nos magasins des mecs avec qui tu peux parler son ».

A l’instar de ce que peuvent vivre d’autres acteurs de la musique comme les disquaires, les magasins de vente d’instruments doivent repenser leur modèle économique pour l’adapter à une concurrence désormais mondiale « grâce » à internet et aux nouvelles habitudes de consommation des français.

 

Auteur : Patrick Kaya

 

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